XVII
TOUT N’EST PAS PERDU

Bolitho prit la tasse de café que lui tendait Ozzard et consulta de nouveau la carte. Avery et Yovell l’observaient en silence, sachant très bien qu’il pensait en réalité à Herrick, en bas, à l’infirmerie.

Bolitho avala une gorgée de café brûlant. Catherine l’avait fait livrer tout spécialement à bord, mais il ne devait plus en rester beaucoup.

Frappant la carte de ses pointes sèches, il commença :

— Au moins, nous avons gagné un peu de temps, puisque le commodore Keen sait désormais ce qui se passe. Le major général Drummond aura déjà assez de soucis avec ses soldats qui auront le mal de mer et des chevaux qui ont à peine la place de se tenir debout, pour ne pas devoir en outre subir une attaque au large.

Comme les autres l’avaient deviné, il ne pensait qu’à Herrick. Il s’était rendu plusieurs fois à son chevet, alors qu’il devait rester en contact avec ses bâtiments, mais il avait été bouleversé par ce qu’il avait vu. Dès le début, Minchin lui avait dit : « Le contre-amiral Herrick a trop de caractère pour se résigner. La plupart des patients s’évanouissent de douleur ou boivent jusqu’à tomber dans une sorte de torpeur. Mais pas lui, sir Richard. J’approchais le scalpel qu’il se débattait encore. »

Lors de sa dernière visite, Herrick avait paru vulnérable et sans défense. Ses traits, habituellement très soulignés, semblaient marqués par l’ombre de la mort. Entre ses périodes de répit, il était ailleurs, à bord de tel ou tel de ses anciens vaisseaux, criant des ordres et exigeant que l’on réponde à des questions auxquelles personne ne comprenait rien. Une fois, il avait crié le nom du dernier bâtiment à bord duquel ils avaient servi ensemble, la Phalarope. A plusieurs reprises, il avait même évoqué avec le plus grand naturel sa Dulcie tant aimée.

Bolitho redescendit sur terre en sursautant lorsqu’il entendit Avery lui demander :

— Baratte ignore l’existence de vos dépêches, amiral, mais il ne va pas traîner très longtemps avant de se décider à agir.

Bolitho en convint.

— Il existe dans le nord de l’île Maurice toute une zone parsemée de petites îles. Gunner’s Quoin, par exemple. Une escadre au complet ne suffirait pas à les explorer toutes.

Il tapota la carte.

— Je suis persuadé que Baratte et son assassin de complice vont rester par-là, en attendant d’avoir des nouvelles du premier convoi.

Avery tendit sa tasse à Ozzard.

— C’est notre seul atout.

— Vous me semblez troublé.

Avery haussa les épaules :

— Cela dépasse mes compétences, amiral.

Bolitho était sur le point de le sonder plus avant, mais on entendit des voix derrière la porte. Il se retourna et sentit son sang se glacer lorsque, Ozzard ayant ouvert la portière, il vit apparaître la tête grisonnante de Minchin.

— Qu’y a-t-il ?

Minchin entra en s’essuyant les mains sur son tablier. Il souriait presque.

— Nous sommes en eaux calmes, sir Richard. C’est passé de justesse.

— Vous voulez dire qu’il est sauvé.

Il avait essayé de se préparer moralement, mais pas à ça.

Minchin acquiesça.

— Cela va prendre un certain temps, mais la fièvre tombe. J’en suis le premier surpris.

— Puis-je aller le voir ?

Minchin fit un pas.

— En fait, il a demandé à vous voir, sir Richard, répondit-il dans un large sourire et répandant ainsi une forte odeur de rhum. Tout le mérite revient à mon aide, il lit des ouvrages de médecine et de chirurgie à toute heure du jour et de la nuit. Il fera un chirurgien aussi bon que bien d’autres et probablement meilleur que la plupart d’entre nous, si vous voulez mon avis !

Sans attendre, Bolitho descendit les deux échelles qui menaient à l’infirmerie. Après tout ce qui s’était passé, il ne pouvait souhaiter meilleures nouvelles.

Herrick, allongé dans sa couchette, leva la tête en le voyant arriver et essaya de sourire.

— Vous m’avez dit que nous allions gagner, dit-il d’une voix faible avant de refermer les yeux.

Allday, un verre de cognac à la main, souriait de toutes ses dents. L’aide du chirurgien, Lovelace, un garçon pâle et presque efféminé, aussi livide qu’un prisonnier car il ne quittait guère l’infirmerie, commenta :

— Le bâtiment reste assez stable, sir Richard, j’ai donc utilisé la méthode du double recouvrement. Elle est plus douloureuse, mais réduit les risques de gangrène.

Bolitho le regarda attentivement.

— Je vous en suis débiteur, et je veillerai à ce que l’on mentionne vos services dans mes prochaines dépêches.

Ils attendirent que Lovelace soit parti, puis Herrick leur dit :

— Il aime bien son métier, celui-là.

Il bougea un peu, ce qui le fit grimacer, mais il semblait calme et parfaitement lucide, semblant avoir enfin accepté son sort. Comme si la chose lui revenait soudain, il demanda :

— Et alors, quelles nouvelles de l’ennemi et de cet Anglais renégat ? J’ai cru comprendre que le convoi du commodore Keen avait reçu ordre de rester au large – est-ce exact ?

Bolitho répondit d’un ton léger :

— Décidément, il n’y a de secrets pour personne à bord, Thomas. Vous avez raison, j’ai pensé que c’était mieux ainsi.

Il se retourna en entendant des claquements de souliers dans la descente. Le pantalon blanc d’un aspirant apparut dans la lueur glauque de l’entrepont.

— Le commandant vous présente ses respects, sir Richard…

Il ne put s’empêcher de lancer un regard vers la couchette, les pansements qui remplaçaient ce qui avait été une main de Herrick.

— Nous sommes tout ouïe, Mr Harris.

Le jeune garçon rougit brusquement et bredouilla :

— La vigie signale qu’elle a entendu des coups de canon, elle croit que c’est dans le sud.

Bolitho se contraignit à ne pas succomber à ses pulsions et à ne pas monter immédiatement sur la dunette. Il arrivait assez fréquemment qu’une vigie entende quelque chose dans le lointain, tout comme elle voyait une voile longtemps avant tout le monde. Mais dans ce cas précis, cela ne venait pas de la bonne direction. Sinon, la Larne de Tyacke l’aurait entendu aussi.

— Je monte – et à l’intention de Herrick : Je ne sais pas ce que cela signifie.

Herrick restait pensif, paraissant se débattre avec quelque chose. Il finit par dire :

— Est-ce si extraordinaire, Richard ? Sommes-nous un adversaire digne de ce nom pour eux ?

Le nous qu’avait utilisé Herrick l’émut plus qu’il ne l’aurait cru. Il posa la main sur son bras indemne.

— Il m’est arrivé assez souvent, en tant qu’amiral, de n’avoir que deux vaisseaux sous mes ordres. Mais c’est la première fois que j’ai un vaisseau sous le commandement de deux amiraux !

— Il vaudrait mieux que j’y aille, lui dit Allday, inquiet.

Herrick se rendormait : peut-être quelque chose que lui avait donné Minchin, ou, plus vraisemblablement, le cognac d’Allday. Il dit seulement :

— Je n’oublierai pas, espèce de canaille !

Allday lui répondit d’un grand sourire :

— Eh ben voilà, amiral, le naturel reprend le dessus !

Bolitho trouva Trevenen et quatre de ses officiers près de la lisse de dunette. Ils avaient tous une lunette en main et scrutaient l’horizon brouillé.

— Ohé du pont ! Voile dans le sud !

Trevenen avait l’air sinistre.

— Nous ferions mieux de rappeler aux postes de combat, sir Richard !

Bolitho s’essuya les yeux du bout des doigts. Rappeler si tôt ? Pourquoi se montrait-il si tendu ? Les voiles claires de la Laërte faisaient une tache minuscule à l’horizon, la Larne était loin au vent. Les trois bâtiments restaient en contact, sous la garde de leurs vigies qui s’apercevaient mutuellement.

Trevenen reprit :

— Une bordée, sir Richard – il en semblait encore tout surpris et ne pouvait le cacher : Une seule bordée.

— Eh bien, commandant, cet inconnu a dû nous voir. Apparemment, il n’a pas changé de route.

Il pointa sa lunette avec grand soin en prenant appui sur l’épaule de l’aspirant Harris. Encore une anecdote qui allait occuper bien des quarts du soir, songea-t-il.

— Ohé du pont ! Frégate, commandant !

— Mais quelle frégate ? demanda Avery.

Quelqu’un murmura :

— Dieu tout-puissant ! voilà un commandant qui sait faire marcher son vaisseau !

— Mr Monteith, aboya Trevenen, je vous serais obligé de garder ce genre de remarque sans intérêt pour vous !

Le jeune officier eut un mouvement de recul, mais s’éclipsa en voyant qu’Avery le regardait.

Bolitho avait surpris l’échange. La frégate ne pouvait être que l’Anémone. En très peu de temps, Adam avait montré de quoi il était capable, et il n’hésitait pas à prendre une initiative chaque fois que l’occasion lui en était donnée.

Mais pourquoi Adam ? Peut-être Keen avait-il jugé plus prudent de le dépêcher ? Ils étaient tous les deux comme des prolongements de lui-même, ses yeux et ses oreilles, des armes en acier entre ses mains. Bolitho décida :

— Nous ne rappellerons pas aux postes de combat, commandant – il décida de courir le risque : Faites-moi prévenir dès que l’Anémone sera à portée de signaux. Mr Avery, venez avec moi.

Yovell était en train de sortir de la chambre, Ozzard préparait une mixture qu’il s’apprêtait à descendre à l’infirmerie. Il était comme Allday, ces deux-là devinaient son humeur et savaient tout de suite quand il avait besoin de s’entretenir en privé avec son aide de camp.

Avery commença :

— Je suis enchanté d’apprendre que le contre-amiral Herrick se remet.

Bolitho s’approcha des fenêtres et abrita ses yeux pour observer les huniers de la Larne.

— Lorsque vous êtes venu me voir, lorsque j’ai accepté de vous prendre comme aide de camp, nous avons prudemment passé un accord. Voyez-vous les choses de cette façon ?

Il regardait la mer, attendant le moment où sa vue se brouillerait. Il savait qu’Avery l’observait et sentait sa réticence à parler de ce qui le préoccupait.

— Vous pouvez être certain que je suis parfaitement loyal, amiral.

Bolitho se retourna, mais la chambre était très sombre et il n’y voyait guère.

— Et que je bénéficie également de votre amitié, j’espère ?

— Ceci m’honore plus que je ne saurais dire, amiral. Mais, compte tenu de mon expérience, portant encore les stigmates d’une cour martiale qui m’a traité injustement, je reste prudent en paroles comme en actes.

— Au cas où vous perdriez votre position, où vous descendriez du barreau de l’échelle où vous êtes et que nous désirons tous atteindre à un moment ou à un autre, et qui vous a été refusé par cette marine que vous aimez tant.

Avery entendit de nouveaux appels de la vigie, des martèlements de pieds nus sur le pont. On brassait les vergues. Lorsqu’il reprit la parole, ce fut d’une voix détachée.

— Me taire et faire mon devoir… j’ai pensé que cela suffirait.

Je ne pouvais pas deviner à quel point est grand le pouvoir de l’Amirauté.

Bolitho se souvint de ce que lui avait dit Catherine, comme dans une autre vie. Elle l’avait alerté sur le fait que Sir Paul Sillitœ pourrait utiliser Avery à ses propres fins. Cela l’avait blessé plus qu’il ne l’aurait cru possible.

Avery reprit d’une voix égale :

— J’ai écrit à mon oncle, de Gibraltar, à dire vrai. Il m’avait dit un certain nombre de choses.

— A mon sujet ?

Avery sursauta :

— Au grand jamais, amiral ! J’étais simplement curieux de savoir comment on avait pu donner la Walkyrie au capitaine de vaisseau Trevenen.

— Vous avez mal agi et de façon peu convenable.

Bolitho aurait aimé distinguer ses traits, mais, après avoir regardé la surface brillante de l’océan, il avait l’impression que la chambre était aussi sombre qu’une grotte.

— J’attends vos explications, Mr Avery.

— J’ai agi ainsi à cause de vous, amiral, et non contre vous. J’avais vu à quel point vous détestiez les séances de fouet, les privations dont les hommes étaient victimes, je sentais que vous étiez impuissant et ne vouliez pas vous en mêler.

Bolitho attendit la suite. Côtoyer quelqu’un tous les jours, partager avec lui un repas, des souvenirs, et ne savoir en fait rien de lui… C’était peut-être en train de changer.

— Mon oncle était très bien informé. Je le soupçonne d’avoir déjà été au courant lorsque Leurs Seigneuries ont insisté pour vous envoyer au Cap.

Il s’emportait et avait du mal à le cacher.

— Ce vaisseau, c’est la récompense de Trevenen pour son faux témoignage devant une commission d’enquête. Il a servi dans le temps à bord de la frégate Priam, bâtiment où il ne faisait pas bon vivre, à en croire mon oncle. Son commandant a laissé à deux reprises des hommes mourir sous le fouet. Trevenen a témoigné à décharge et la commission s’est empressée de prononcer un non-lieu.

— Et puis-je savoir le nom du commandant du Priam ?

— Je pense que vous le connaissez, amiral. C’était Hamett-Parker, à présent l’amiral Sir James Hamett-Parker. Celui qui s’est arrangé pour vous faire nommer ici.

Il semblait à bout de souffle.

Bolitho serrait des deux mains le rebord du banc de poupe.

— Il m’a dit un jour qu’il n’avait jamais servi à bord de frégates.

— L’amiral, reprit lentement Avery, sait pertinemment qu’il existe un vieux différend entre votre famille et celle de Trevenen, amiral. Une arme très simple, mais terriblement efficace.

Et il continua plus vite, comme s’il craignait d’hésiter et d’en rester là :

— Trevenen est d’assez humble extraction, amiral.

— Et cela ne lui a pas porté tort, il me semble.

En disant cela, Bolitho revoyait encore les discussions interminables entre Trevenen, son commis et son secrétaire au sujet des vivres et des fruits frais, si indispensables sous ces mauvais climats.

— Ce n’est pas ainsi que je souhaitais conclure, amiral, reprit Avery. Vous avez ma parole.

A entendre le son de sa voix, on aurait cru qu’il s’était retourné pour regarder tout autour de lui.

— Je savais que c’était une grande chance pour moi de servir avec vous, et je sais que je viens de tout anéantir.

— Autre chose ?

— J’ai le pressentiment que nous allons combattre. J’en ai l’habitude, et je ne vous ferai pas défaut.

Bolitho entendait des grincements de drisses et de poulies au-dessus de sa tête, on faisait sans doute l’aperçu aux signaux de l’autre frégate.

Il essayait de rester calme.

— Je n’ai jamais douté de vos aptitudes.

— Si je vous disais un secret… répondit Avery.

— Dites-le moi si vous le désirez. Mais vous en avez déjà assez avoué pour vous briser.

— Le capitaine de vaisseau Trevenen est un lâche, amiral. Je l’ai bien observé. Et je crois que je m’y connais en hommes.

Ils entendirent des pas lourds dans la descente et Trevenen frappa impatiemment du poing sur la porte.

Pendant un moment, Bolitho et Avery restèrent là. Puis Bolitho lui dit :

— Cela aussi vous a demandé du courage – il se tut avant de reprendre : C’est un secret, Mr Avery – puis, assez sèchement : Entrez !

Trevenen fit presque irruption dans la chambre.

— C’est l’Anémone, sir Richard – cela sonnait comme une accusation : Son commandant vient à bord !

— Est-ce tout, commandant ?

Trevenen essayait de se maîtriser, sa haute silhouette se dandinait comme s’il avait oublié où il était.

— L’Orcades est perdu ! Le pavillon de quarantaine !

Bolitho retint son souffle. Point besoin de poser la question pour deviner ce qui s’était passé. Dans un intervalle aussi bref, Adam n’avait pas eu le temps de retrouver Keen, ce qui signifiait que ses bâtiments avaient sans doute déjà mis à la voile.

— Je monte.

La porte se referma en claquant et Allday arriva par une autre issue.

— Pauvre Stephen Jenour, dit lentement Bolitho. Il ne voulait pas de commandement, comme vous le savez. C’est moi qui l’y ai forcé. J’aurais pu aussi bien lui tirer une balle dans la tête.

Avery était assez déconcerté et ne savait trop que dire.

— Je suis sûr que c’est le souhait de tout officier, amiral.

— J’en doute.

Il tendit la main pour prendre son bras, mais le manqua dans l’obscurité.

— Nous avons une guerre à mener, Mr Avery. Chassez toute autre pensée de votre esprit. Ce que vous avez fait, vous l’avez fait pour moi et vous avez eu raison. Lorsque l’on commande, il convient d’être conscient de ses faiblesses comme de ses forces.

Allday posa un verre près de lui.

— Un godet, sir Richard.

Il était incapable d’en dire davantage.

— Nous allons vous attendre sur le pont, amiral.

Avery suivit le gros maître d’hôtel sur le pont où les rayons du soleil filtraient. Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’Anémone avait déjà eu le temps de changer d’amure et de venir sous le vent à eux. Avery distinguait même des visages, des hommes qui se précipitaient de derrière les canons pour armer les palans d’embarcation.

Se retournant, il vit qu’Allday le regardait d’une façon bizarre.

— Qu’y a-t-il ?

Allday répondit très tranquillement :

— Je ne vous connais pas depuis bien longtemps, monsieur, mais je finis par me dire que vous faites partie du petit équipage de Sir Richard, comme il nous nomme – il ne souriait pas du tout : Sans ça, je ne vous aurais pas dit un mot, voyez-vous ?

— Je suis désolé de ce qui est arrivé à Jenour, même si je le connaissais à peine.

Allday écarta la remarque d’un revers de main.

— C’était un homme bien. J’veux dire, tous ici, on lui faisait confiance – puis, revenant à ses moutons : Je crois que je dois vous dire quelque chose, monsieur, après que j’ai vu comment qu’il vous traitait – il hésita un peu, avant de reprendre vivement : Si que vous parleriez de ça à n’importe qui d’autre, de toute façon, je le saurais.

Avery attendait la suite. Il comprenait qu’il ne s’agissait pas seulement d’un élément important, mais vital.

— Il devient aveugle, monsieur. L’œil gauche. Il a été salement blessé, et faut qu’on s’occupe de lui.

— Je vous remercie de votre confiance. Je le dis du fond du cœur.

Allday paraissait ne pas l’entendre.

— Sir Richard a eu dans le temps un aide de camp, l’honorable Oliver Browne qu’y s’appelait. Un vrai gentilhomme çui-ci, je veux dire, d’la seule façon qui compte. Y parlait toujours des « Heureux Élus », c’est com’ça qu’y disait. Mais y s’est fait tuer – son regard se fit plus dur : Pas à la mer, ça non.

Il s’éloigna. L’Anémone masquait sa voilure et le canot s’affala avec grâce le long de la muraille. Allday ajouta par-dessus l’épaule :

— Et maintenant, vous en faites partie, monsieur !

La Walkyrie vint à son tour dans le vent, ses voiles claquaient dans un fracas de tonnerre car la brise était fraîche. Avery gagna les filets de branle tandis que la garde se préparait à accueillir le commandant de l’Anémone.

— Enfin, te voilà !

Bolitho émergea de la descente et jeta un coup d’œil au compas avant de répondre au salut de l’officier de quart.

Avery l’observait. Cette facilité qu’il avait de passer de la dunette au gaillard d’avant l’émouvait. Aussi à l’aise avec un héros qu’avec un matelot enrôlé par la presse. On devait lire sur la figure de l’aide de camp de l’admiration, mais aussi de la tristesse. Bolitho se tourna d’abord vers l’Anémone, puis vers Allday, qui se tenait près d’un affût. Il dit alors à Avery :

— Il vous a mis au courant, n’est-ce pas ?

— Quelques petites choses, amiral. Vous pouvez me faire confiance – il hésita : Il n’y a rien à faire ?

— Je ne crois pas, non – il sourit : Allons accueillir mon neveu et entendre ce qu’il a à nous dire !

C’était vraiment étonnant. Je ne crois pas, voilà ce qu’il avait dit. Mais le ton de sa voix disait le contraire.

Avery aperçut Allday, qui lui fit un signe de tête imperceptible. Il était accepté.

 

Bolitho resta à la porte de l’infirmerie. Dehors, la mer devait être plongée dans une obscurité profonde, brisée de temps à autre par une raie phosphorescente ou par une crête qui déferlait, seuls indices de leur vitesse. Le vaisseau semblait plus calme qu’à l’habitude, mais, cette fois, ce n’était pas par crainte d’une punition.

Juste avant que la nuit dissimule les bâtiments, la Larne avait fait un dernier signal. Tyacke avait aperçu plusieurs voiles dans le nordet. Aucune hésitation possible, c’était l’ennemi.

Bolitho songeait au bref entretien qu’il avait eu avec Adam, venu prendre ses ordres et lui décrire les horreurs qu’il avait vues à bord de l’Orcades, désemparé et laissé à la dérive. Cela dit, il pressentait que, même si ce récit avait été pénible, Adam lui en avait épargné le pire. Il lui avait dit ce qu’il avait ressenti en quittant la zone pour le rallier, comment il avait tiré une bordée pour annoncer son arrivée, celle qu’avait entendue la vigie. Il avait aperçu une goélette arabe à hunier qui le suivait sans doute depuis que l’Anémone avait laissé l’Orcades à son sort. Certainement l’un des navires d’éclairage de Baratte, ou encore, un négrier qui courait le risque de se faire arraisonner. De toute manière, il n’avait pas le temps de lui donner la chasse, sans compter qu’il risquait de le perdre dans un grain. Adam lui avait lâché une bordée en limite de portée avant de le laisser se débrouiller, démâté et désemparé.

Ils ignoraient tout des forces de l’ennemi, mais Baratte, lui, savait sûrement déjà à qui il aurait affaire, et avait arrêté ses plans.

Quelle que soit sa position présente, ils ne pouvaient guère aller plus loin en pleine nuit. Ils allaient se contenter de rester aussi groupés que possible jusqu’à l’aube.

Bolitho imaginait la bordée de repos de la Walkyrie, plus bas, les hommes qui ressassaient l’inévitable, les terriens et les plus jeunes interrogeant les anciens sur ce qui les attendait. A quoi est-ce que ça ressemble ?

Avery arriva en silence derrière lui. Attentif à ne pas le déranger au milieu de ses pensées, mais prêt à agir en cas de besoin.

Comment savait-il que Trevenen était un lâche ? A l’entendre, il n’était pas effleuré par le moindre petit doute. Était-ce Sillitœ qui le lui avait dit, ou encore son père mort au combat ?

La récompense obtenue par Trevenen pour avoir menti sous serment n’était certes pas une mince affaire. D’avoir été nommé au commandement de la Walkyrie lui assurait d’accéder au rang d’amiral, à condition qu’il ne commette pas de bourde ou qu’il ne mette jamais Hamett-Parker dans une situation délicate. Dans ce dernier cas, il ne s’agirait plus de lâcheté, mais ce serait tout aussi dangereux.

Minchin émergea de l’ombre.

— Oui, sir Richard ?

— Comment va-t-il ?

Minchin se gratta le crâne.

— Il dort, pour l’instant. Il se plaint, mais la chose est assez habituelle.

Il arbora un large sourire en entendant Herrick appeler :

— Qu’est-ce que c’est ?

Bolitho s’approcha dans le cône de l’unique fanal.

— Je suis là, Thomas.

Herrick poussa un gémissement de douleur en essayant de s’asseoir. Puis, les dents serrées, il s’exclama :

— Bon Dieu ! N’avoir qu’un seul bras vous cause encore plus d’ennuis que d’en avoir deux !

Et il se laissa retomber ; on ne voyait plus que ses yeux qui brillaient à la lueur du fanal.

— Ainsi donc, nous allons combattre ?

— Et nous devons absolument gagner, Thomas.

Lovelace lui tendit une tasse et Herrick en but une petite gorgée.

— C’est toujours la même chanson, pas assez de vaisseaux le jour où l’on en a besoin. Combien de fois avons-nous vu ça, pas vrai ? Mais ils ne comprendront jamais, parce qu’ils ne sont pas là pour assister au spectacle. Ni pour y participer !

— Du calme, Thomas.

— Je sais, je sais.

Il remuait la tête d’un bord et de l’autre.

— Et en plus, je ne vous suis d’aucune utilité.

Puis il se rendit compte pour la première fois de la présence d’Avery.

— Je vous ai maltraité à Freetown, Mr Avery. On m’a dit ce qui était arrivé à Jenour. Ce n’est pas un âge pour mourir.

Bolitho s’arrêta près de la porte.

— Essayez de dormir un peu, je veillerai à ce que l’on s’occupe de vous au cas où…

— Au cas où, répliqua Herrick en levant le bras. C’est bien là le fond de l’affaire.

Une fois sorti de l’infirmerie, on avait l’impression que le vaisseau dormait en paix. Quelques aspirants se tenaient accroupis en cercle, et, à la lueur des fanaux, on devinait les expressions peintes sur leurs visages. On aurait cru voir les adeptes d’une secte. Mais Bolitho savait qu’ils se posaient des colles de navigation et de matelotage. Comme tous les « jeunes messieurs » de la Flotte, ils se préparaient pour le jour magique où ils passeraient l’examen d’enseigne. Pour les aspirants, c’était le premier barreau de l’échelle ; si difficile, et bien peu nombreux étaient ceux qui parvenaient à aller plus haut.

Lovelace quitta l’infirmerie, portant deux livres sous le bras, et Bolitho se souvint de ce que le chirurgien lui avait dit. Il lui demanda :

— Vous est-il arrivé de songer à franchir le pas, Lovelace ? D’entrer au Collège de chirurgie ? Mr Minchin ne tarit pas d’éloges sur votre compte.

C’était la première fois qu’il le voyait sourire.

— Moi aussi, j’aimerais bien rouler carrosse, sir Richard.

Mais son sourire s’évanouit :

— Je vous demande pardon, amiral, je ne voulais pas vous offenser.

Appuyé contre des membrures courbes, un peu derrière, Avery observait la scène. Il vit Bolitho tendre la main à cet homme et lui dire doucement :

— Si nous vainquons l’ennemi aujourd’hui, je m’occuperai de vous.

Avery retenait son souffle, de peur d’en perdre une seule miette. Bolitho ajouta :

— Mon ancien aide de camp, qui vient de mourir, aurait dû faire des études de médecine au lieu de choisir le métier des armes, comme son père et son oncle avaient fait avant lui. Et au lieu de cela…

Il se détourna.

— Mais le sort en a décidé autrement. Dieu ait son âme.

Et ils grimpèrent l’échelle, sans que Lovelace réussisse à en détacher les yeux.

— Votre offre est très généreuse, amiral.

— On ne récolte que ce que l’on a semé.

Le vaisseau partit à la gîte dans un creux et il dut s’accrocher à une main courante. Puis il dit à Avery :

— Je vous convie à souper avec moi, ce soir. Il faut que nous parlions des signaux, pour demain. Plus tard, nous n’aurons pas le temps.

Le repas était très simple et ils l’arrosèrent avec le bordeaux que Catherine se procurait dans St James’s Street. Mais, grâce au talent d’Ozzard, le repas acheva agréablement la journée.

Encouragé par son aide de camp, il entreprit de raconter ses campagnes. Les souvenirs remontaient et Avery savait bien que Bolitho lui parlait d’êtres – tel Jenour – dont seuls ceux qui avaient partagé la même vie se souviendraient.

Bolitho, le regard perdu, effleura le médaillon accroché sous sa chemise et lui dit :

— Je vais ajouter quelques lignes à ma lettre pour Catherine avant de me coucher. Elle aimait bien Stephen. Il avait coutume de la croquer, de même qu’il dessinait des scènes de la vie quotidienne.

Il n’aurait pas besoin de lui dire ce qu’elle aurait à faire après avoir reçu ce courrier. Elle irait à Southampton voir les parents de Jenour, pour leur éviter la brutalité d’une lettre officielle de l’Amirauté.

 

Le secrétaire d’État à la marine a le regret de vous informer…

 

On ne pouvait imposer à personne de subir cela.

Puis, assez brusquement, il reprit :

— S’il m’arrive quoi que ce soit… – il regardait Avery droit dans les yeux : J’ai serré une lettre dans mon coffre, pourriez-vous la remettre à…

— Je préférerais que personne ne la lise jamais, sir Richard.

Bolitho sourit.

— Bien dit.

Et, sans se rendre compte de ce qu’il faisait, il effleura son œil malade du bout des doigts. Si bien qu’il ne vit pas l’air subitement inquiet du lieutenant de vaisseau.

— Baratte est un homme retors, un filou capable d’imaginer n’importe quelle ruse pour nous avoir. Peu importe celui qui perd, c’est lui, le bouc émissaire, et vous êtes bien placé pour le savoir. Son père a été dénoncé comme un de ces aristos si détestés, pendant la Terreur, il a été décapité avant les assassins qui lui braillaient dessus. C’était un officier de valeur, la France doit bien regretter sa mort et le sang qu’elle a désormais sur les mains, le sien et celui de tant d’autres comme lui. Baratte a fait l’impossible pour prouver sa valeur et montrer qu’il pouvait être utile à son pays, peut-être pour mieux se protéger lui-même. C’est une faiblesse qui le rend sans doute trop imprudent, et cela le pousse à utiliser trop souvent les mêmes coups tordus.

— Et cet Anglais, Hannay, amiral ?

— Il va se battre comme un lion.

— Ce ne sera donc pas un maillon faible ?

La puissance qui émanait de cet homme, l’intensité de ces yeux gris, cette émotion lorsqu’il parlait de ses ennemis avec autant de lucidité, tout cela fascinait Avery. Il les voyait presque devant lui. Et, lorsqu’il se montrait sous ce jour, personne n’aurait deviné que l’amiral était à moitié aveugle. Encore un secret.

— Sauf, compléta Bolitho en haussant les épaules, qu’il n’est pas accoutumé à recevoir des ordres. Surtout venant d’un Français !

La chose semblait l’amuser. Il se tourna vers Avery :

— La première impression de Mr Yovell, lorsqu’il vous a rencontré à Falmouth, était la bonne. Votre connaissance du latin l’avait particulièrement impressionné, même s’il ne savait pas alors à quel point elle se révélerait utile.

— Demain, bien des choses vont dépendre de votre neveu, amiral.

— Oui. Je suis très fier de lui, il est comme mon fils.

Mais Avery n’insista pas.

— Mr Yovell me racontait qu’il avait rencontré Nelson, qui en parlait avec beaucoup de chaleur – il hésita : Et vous-même, amiral, l’avez-vous connu ?

Bolitho hocha négativement la tête, soudain un peu las. Ceux qui maintenant chantaient des chansons à la gloire du « petit amiral » étaient ceux-là mêmes qui avaient essayé de le descendre en flammes avant qu’il tombe à bord du Victory. Et sa chère Emma ? Qu’était-elle devenue ? Comment, se demandait-il, ceux qui lui avaient fait des promesses alors qu’il gisait, mourant, pouvaient-ils encore se regarder en face ?

Et Catherine. Que lui arriverait-il s’il tombait à son tour ?

— Allez donc voir le second, finit-il par dire à Avery. Il a besoin qu’on le rassure.

Avery se leva, le vaisseau vibrait autour de lui chaque fois qu’il repoussait, plein de dédain, les assauts de l’océan contre ses flancs.

— Ce sera donc demain, amiral ?

Bolitho acquiesça.

— Que vouliez-vous donc savoir, au sujet de Nelson ?

Avery posa la main sur la portière.

— Des gens qui ne le connaissaient pas, qui ne l’avaient même jamais vu, se sont mis à pleurer comme des femmes à l’annonce de sa mort – il ouvrit la porte : Je ne pensais pas voir une chose pareille avant de devenir votre aide de camp, amiral.

Et il disparut.

Bolitho ne put s’empêcher de sourire. Avery allait penser différemment si, le lendemain, le sort leur était contraire.

Lorsque Ozzard, après avoir nettoyé la chambre, eût regagné, pensif, son office, Bolitho sortit un petit ouvrage de son coffre et le retourna entre ses mains. Il ne s’agissait pas de l’un de ces livres que Catherine lui avait offerts, un recueil de sonnets de Shakespeare joliment relié de cuir vert, mais un livre beaucoup plus ancien, taché de sel et qui avait beaucoup servi, l’un des rares objets dont il avait hérité de son père. Il s’agissait du Paradis perdu[3]. Comme le commandant James, Bolitho l’avait lu par tous les temps, sous le soleil de plomb des tropiques, sous la tempête, en croisière de blocus devant Brest ou Lorient, au calme d’un mouillage dans quelque endroit vierge.

 

Que peut-on perdre sur le champ de bataille ?

Mais tout n’est pas perdu ; la volonté inexpiable,

L’espoir de la vengeance, la haine éternelle,

Le courage, voilà qui ne se soumettra ni ne cédera jamais.

 

Il referma son livre et s’approcha de la table où était étalée la carte. Peut-être tout était-il déjà réglé, le sort en avait décidé et il n’y pouvait rien changer.

Le vaisseau fit une embardée et la lumière du fanal effleura un instant le vieux sabre accroché à la cloison. Comme si l’acier revenait à la vie.

« Tout n’est pas perdu », prononça-t-il à haute voix.

Il regarda par les fenêtres de poupe et ne vit que son propre reflet qui se découpait sur l’obscurité de la mer. Il ressemblait à un fantôme ou encore à l’un des portraits sur les murs, à Falmouth.

Il se sentait soudain plus calme, comme si quelque chose venait de se résoudre. Cela lui était souvent arrivé par le passé, lorsque tout ce qui allait décider de la victoire ou du désastre était le courage des adversaires qui se battaient sous leurs propres couleurs.

Il alla s’asseoir et sortit d’un tiroir sa lettre inachevée. C’était l’été en Cornouailles, l’air devait être empli des bruits de la ferme, des moutons et du bétail, bruissant du bourdonnement des abeilles. Et de l’odeur des roses. Ses roses…

Il effleura son médaillon en relisant les dernières lignes de cette très longue lettre. Une lettre qu’elle ne recevrait peut-être jamais.

J’ai de bien tristes nouvelles à t’apprendre, il s’agit de Stephen Jenour…

Il écrivait en s’appliquant, comme s’il lui parlait, comme si elle le regardait à sa table.

Je suis intimement persuadé que nous allons combattre demain. Il leva les yeux en entendant des bruits de pas qui se dirigeaient vers l’arrière. La relève pour le second quart de nuit. Il se laissa aller à sourire, raya le dernier mot et inscrivit : aujourd’hui.

Il imaginait ses trop rares commandants, noyés dans la nuit, chacun différent des autres. Le jeune Adam, songeant à la femme qu’il aimait et qui ne serait jamais sienne. Peter Dawes, fils d’amiral, qui pensait un peu trop à faire des prises et qui voulait s’assurer qu’on n’aurait pas besoin d’aller le chercher lorsqu’il s’agirait de se battre. Un jeune officier intelligent, qui ne se laissait pas aller à son imagination ni envahir par le doute. James Tyacke, complètement seul et pourtant si impliqué dans ce qui allait se passer. Et enfin, bien sûr, le plus ancien des capitaines de vaisseau, Aaron Trevenen, hostile, plein de rancœur et, en matière de discipline, d’une rigidité à toute épreuve.

Il entendit quelques marins qui regagnaient leurs postes. La plupart d’entre eux n’allaient guère fermer l’œil.

Il songeait aussi à Nelson, à cette comparaison surprenante qu’avait faite Avery. Nelson qui avait écrit à son Emma bien-aimée, au moment même où les flottes combinées de l’ennemi appareillaient.

Il avait terminé par ces mots : « J’espère que je serai vivant pour terminer cette lettre après la bataille. »

Bolitho plia sa lettre, mais sans la sceller. Je la finirai plus tard.

 

Une mer d'encre
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